Alors que les patrons du CAC 40 rivalisent de tweets et de tribunes LinkedIn, quel est le retour d’un tel investissement ? L’influence des dirigeants sur les réseaux sociaux, telle que mesurée par divers classements à travers leur fréquence de publication, le nombre et le niveau d’engagement de leurs followers, sert-elle la performance de leur entreprise ou n’est-elle qu’une « vanity metric » ?
Les dirigeants du CAC à l’assaut des réseaux sociaux
Aujourd’hui presque 90 % des patrons du CAC 40 sont actifs sur LinkedIn et près d’un quart sur Twitter. Les dirigeants jouent un rôle important dans la réputation de leur entreprise et avec la montée du « stakeholder capitalism », leur capacité à « vendre » leur entreprise au-delà du cercle traditionnel des investisseurs est devenue une compétence-clé. Or les réseaux sociaux leur fournissent une plateforme idéale pour s’adresser, sans intermédiaire, à un large public, et ainsi assoir plus fermement leur réputation et celle de leur entreprise. C’est en tout cas la promesse faite par les grandes plateformes du social media.
Pas d’influence sur la performance
Et pourtant elle ne résiste pas à l’épreuve des faits. Sur les 10 patrons du CAC 40 qui ont fait le plus croître la valeur de leur entreprise pendant leur mandat, aucun n’est listé dans les classements d’influence social media publiés chaque année. La majorité de ces dirigeants surperformants (60 %) sont même totalement absents des réseaux sociaux. C’est le cas de Bernard Charlès, Vice-Président du Conseil et Directeur général de Dassault Systèmes dont le cours de bourse a plus que doublé sur les 5 dernières années, ou encore de Bernard Arnault, PDG de LVMH dont la capitalisation boursière a triplé sur la même période.
Certes ces classements ne mesurent que l’influence sur les réseaux sociaux. Ils sont donc au mieux un moyen d’estimer la réputation des dirigeants, par leur performance en termes de création de richesse. Par ailleurs cette performance est déterminée par bien d’autres facteurs : la structure de l’industrie dans laquelle ils évoluent, la conjoncture, le moment où ils ont pris les rênes de l’entreprise, etc. Mais si l’influence sur les réseaux sociaux n’a aucun impact sur la création de valeur, ne répond-elle pas précisément à la définition d’une vanity metric, un indicateur vain qui flatte l’ego mais n’a pas d’efficacité opérationnelle ?Contrairement à ce que voudraient nous faire croire les grandes plateformes, ce n’est pas l’influence qui détermine la performance, mais la performance qui fonde la réputation et partant l’influence. Si Apple est en 2021 et pour la 14e année consécutive, l’entreprise la plus admirée au monde (selon le classement du magazine Fortune), c’est peut-être parce qu’elle est également depuis 10 ans la 1re ou 2e capitalisation boursière mondiale.
La réputation se joue ailleurs
Un dirigeant d’entreprise est d’abord jugé sur sa capacité à créer de la richesse et sa réputation ne se joue pas sur les réseaux sociaux. Les grands patrons sont comme des sportifs de haut niveau, des artistes d’exception ou des scientifiques de haut vol. La reconnaissance du grand public, si elle doit venir un jour, n’arrive qu’en dernier, une fois qu’ils ont convaincu les cercles des experts à même de juger de leur talent et de leur performance : leurs pairs d’abord, puis la critique (analystes, consultants, journalistes spécialisés) et enfin les marchands (en l’occurrence les marchés financiers).
C’est vers ces audiences sophistiquées que les grands patrons doivent concentrer leur communication. Les rapports annuels, les tribunes et interviews données à la presse, les discours et interventions tenus au sein des événements ou instances qui les rassemblent, sont bien plus efficaces pour les toucher et les convaincre, que des posts de quelques centaines de caractères publiés sur les newsfeeds de followers à l’attention hyper-fragmentée.C’est la stratégie adoptée par les patrons les plus performants du CAC. C’est aussi celle du patron de Berkshire Hathaway, Warren Buffet, l’investisseur le plus écouté d’Amérique. Durant l’été 2018, lorsqu’un faux compte à son nom est apparu sur Twitter, le réseau social s’est immédiatement enflammé, likant et retweetant les conseils de développement personnel du faux Buffet des centaines de milliers de fois en quelques heures. Quelques jours plus tard, réagissant à l’événement dans une interview donnée à CNBC, le vrai Warren Buffet déclarait : « Je ne vois pas pourquoi je tweeterais. Je publie un rapport annuel, je n’ai pas forcément d’opinion chaque jour sur toutes sortes de sujets. Je pense juste que j’ai d’autres choses à faire dans la vie que de tweeter. ».
Merci à Laetitia Puyfaucher pour sa relecture.