Presque 3 millions d’articles sont publiés chaque jour sur WordPress1. Que l’on soit bloggeur, journaliste ou communicant, la vraie difficulté ce n’est plus d’écrire, c’est d’être lu. Alors que je me lance moi-même dans l’aventure, c’est l’unique question qui me taraude. Lecteur vorace, je me suis replongé dans les articles et auteurs que j’estime, pour tenter d’en découvrir les secrets. Voici mon hypothèse : de même qu’il faut être aimable pour être aimé, le meilleur moyen d’être lu, c’est d’être lisible, c’est-à-dire mériter d’être lu, pouvoir être lu sans fatigue ni ennui, et être visible.
L’irrésistible ascension de Jason Cohen
En 2008, en pleine aventure entrepreneuriale, je découvrais « A Smart Bear », un blog sur les
start-ups et le marketing. Il comptait alors quelques centaines d’abonnés. Aujourd’hui, ils sont plus de 50 000 comme moi à le suivre. Dans un article paru en 2009, son auteur, Jason Cohen, explique comment il est parvenu en 12 mois à convaincre ses 6 000 premiers abonnés. Le plus intriguant dans cette progression initiale, c’est la courbe qu’elle a suivie :
Que s’est-il passé en septembre 2009 ? Qu’est-ce que Jason Cohen a-t-il bien pu changer ? La réponse est déconcertante : rien. Il n’a rien fait de spécial ni de nouveau. Comme en 2008, il a continué à promouvoir ses articles sur les réseaux sociaux. Comme en 2008, Il a convaincu quelques bloggeurs influents de publier certains de ses articles. Mais alors que jusqu’ici il n’avait jamais obtenu que des pics passagers d’audience, en 2009 son blog finit enfin par décoller.
En 12 mois Jason Cohen a en fait atteint la masse critique. En proposant régulièrement des articles de qualité, il s’est construit une communauté de fans qui les a partagés. Plus crédibles, ils ont réussi à convaincre d’autres lecteurs. Avec le temps, il y eut de plus en plus d’articles à partager et de plus en plus de lecteurs pour le faire. La mécanique vertueuse d’accumulation était enclenchée.
Alors suffit-il d’écrire régulièrement des articles de qualité et d’être patient pour réussir ? Non, répond Jason Cohen. Mais ce sont les seuls leviers entre nos mains. Tout le reste n’est que hasard.
… et de Buzzfeed
Ce n’est pourtant pas ce que croît Buzzfeed. Chaque mois le 1er site américain d’infotainment attire 3 fois plus de visiteurs que le New York Times et ses 122 prix Pulitzer. Et ce sont des articles de divertissement comme « 19 chats qui se prennent pour des chiens et inversement » qui sont à la base de son succès. Pour Buzzfeed, la viralité n’est pas de hasard, c’est une science fondée sur la donnée. Une étude réalisée par Moz et Buzzsumo révèle que chacune de ses publications est partagée en moyenne plus de 20 000 fois, soit cinq fois plus que celles du New York Times. Pour être lu massivement, il faut d’abord être vu massivement. La promotion est cruciale parce qu’elle rend possible la rencontre de l’œuvre avec le lecteur.
Pourtant elle est coûteuse et ne crée pas forcément l’étincelle. Être vu ne garantit pas d’être lu, ni de l’être dans la durée. Le trafic issu des réseaux sociaux notamment est éphémère. Selon Moz et Buzzsumo, le contenu de divertissement de Buzzfeed ne suscite ainsi que peu de liens entrants2 (8 en moyenne). Pour maintenir son audience, le site est donc condamné à produire et promouvoir toujours plus de contenus. Lorsqu’on investit dans la qualité en revanche, on bénéficie de l’effet de levier de la recommandation.
Comment être utile à ses lecteurs
C’est ce que confirment d’ailleurs les recherches effectuées par Moz et Buzzsumo. Pendant l’été 2015, ils ont analysé 1 million du publications digitales (articles, rapports, infographies, vidéos, quiz). Leur objectif : identifier les types de contenus qui bénéficient de la meilleure visibilité (partages sur les réseaux sociaux et liens entrants).
- 1re leçon : le monde est injuste. Les trois quarts des contenus sont tout simplement ignorés (aucun lien entrant externe et moins de 8 partages sur les réseaux sociaux) ;
- 2e leçon : le monde est vraiment injuste. Ce n’est pas parce que votre article fait un tabac sur Facebook que vous pouvez compter sur un déluge de liens entrants. Un tube ne devient pas forcément un classique ;
- 3e leçon : le monde est finalement assez juste. Les publications qui bénéficient de la meilleure visibilité cumulée (un succès massif mais éphémère sur les réseaux sociaux couplé à une visibilité de long terme procurée par de nombreux liens entrants) sont les articles de fond qui permettent aux lecteurs de mieux comprendre le monde (tribunes d’opinion, articles fondés sur des résultats scientifiques).
Qu’il s’agisse de résoudre concrètement un problème, de mettre des mots sur une intuition ou de simplement trouver une inspiration pour agir, nous sommes tous et éternellement, à la recherche d’idées nouvelles pour améliorer notre vie. Mériter d’être lu, c’est d’abord être utile à ses lecteurs en répondant à ces questions. C’est chercher la vérité du sujet qu’on traite. Comme une carte, plus une idée est fidèle à la réalité, plus elle est utile. C’est aussi une attitude : la volonté de découvrir plutôt que d’argumenter. C’est une méthode enfin: investir en priorité dans la recherche des idées plutôt que dans leur expression.
Pour autant les contenus légers sont-ils forcément inutiles ? Pas tous. Un article ou un sketch vraiment drôles disent une vérité. « C’est n’importe quoi et en même temps c’est tellement vrai ». C’est comme si l’auteur, en grossissant le trait jusqu’à l’absurde, nous permettait, par un effet de loupe, de mieux voir la vérité. Quand je revois cette jeune femme qui tombe dans un bassin parce qu’elle regarde son téléphone, je me dis « mais quelle idiote ! ». Et pourtant je me reconnais en elle car comme elle je suis devenu esclave de mon smartphone.
On n’est pas non plus obligé d’être ennuyeux lorsqu’on écrit sur un sujet sérieux. Paul Graham offre ici le meilleur conseil : il faut écrire comme on parle. Le piège, c’est de disserter pour impressionner un professeur imaginaire, alors qu’il faut s’imaginer converser avec un ami.
S’inspirer de la musique…
Alors que j’écris ces quelques lignes, j’écoute en boucle « For marmish » et me demande ce qu’une musique de qualité peut nous apprendre d’un texte de qualité. Le plaisir de la musique est d’abord sensuel et émotionnel. En dehors du roman, ce n’est pas l’objectif premier de l’écriture. Et pourtant elle gagne également à jouer sur ces deux registres. Il vaut mieux montrer que dire car on appréhende plus facilement ce qui est concret. Et pour inciter à l’action, il vaut mieux miser sur le cœur que sur la raison. Comment ? En n’ayant pas peur d’exprimer ses propres sentiments car l’émotion est contagieuse.
La musique ne flatte pas que l’oreille. Elle produit aussi des images. C’est pourquoi d’ailleurs je préfère la musique instrumentale. D’une certaine manière, les mots contraignent l’imagination. La musique est bonne lorsqu’elle laisse de l’espace pour créer sa propre histoire. Cela vaut également pour l’écriture. Un article de qualité ne dit pas tout. Il vise la concision, par respect du lecteur, de son temps comme de son imagination.
Le plaisir de la musique se joue enfin dans la tension entre le familier et le nouveau. Le plaisir de l’oreille, c’est de reconnaître et d’être surprise à la fois. Il n’y a pas plus grand plaisir que celui de chanter sur les morceaux qu’on connaît par cœur, que d’anticiper un refrain qui nous est particulièrement agréable. Et pourtant à force d’écouter un morceau, on finit par l’user. C’est vrai également des idées. Un article est bon lorsqu’il projette un éclairage nouveau sur un problème connu. Ce contraste est ce qui crée la surprise et pique l’intérêt.
… et des séries
Un bon texte ne donne pas seulement envie de lire. Il entretient le désir d’aller jusqu’au bout. Comment ? En s’inspirant des maîtres de l’intrigue. Le secret du suspense, c’est de nous mettre face à une situation dont l’enjeu est fort et l’issue incertaine : qui est le coupable du meurtre ? Qui du Bien ou du Mal finira par l’emporter ? Puis de nous emmener, de fausse piste en fausse piste, jusqu’à la résolution finale : le vrai coupable c’était donc le père ; le Bien a fini par l’emporter mais il y a perdu son âme.
C’est ici que l’écriture devient exercice de narration. Un bon article ne livre pas brutalement sa vérité. Il nous fait d’abord passer par les fausses pistes que l’auteur a lui-même empruntées pour la découvrir. En nous associant à son enquête, il nous convainc d’ailleurs plus facilement de ses résultats.
Écrire au fond, c’est réfléchir à voix haute et devant témoins, pour trouver la meilleure réponse possible à une question qui compte pour ses lecteurs. C’est un processus laborieux et sans garantie de résultats. Il faut donc que la question soit également chère à l’auteur. Paradoxalement, même si on écrit pour les autres, on écrit sans doute mieux lorsqu’on écrit d’abord pour soi.
Merci à Laurent Bernard, Régis Cornélie, Nader Fleury, Laurent Frisch, Gilles Nembé, Arnaud Nguyen, Thomas Wallach et Laetitia Puyfaucher pour leur relecture.
Notes
- WordPress est la plateforme de publication en ligne la plus populaire au monde. Elle héberge presque 30 % des sites web de la planète.
- Un lien entrant (backlink en anglais) est un hyperlien pointant vers un site ou une page Web. À la manière des citations scientifiques, plus ces liens sont nombreux et de qualité et plus la réputation du site ou de la page augmente, ce qui accroît d’autant leur visibilité dans les moteurs de recherche.
Quelle plume!